Chroniques des pilotes de syucamechos 

Sorcellerie

An 750 de notre Roydivin

La guerre de soixante ans ne fut bien sûr pas une succession ininterrompue de batailles. Il y eut de nombreux cessez-le-feu et période de paix relative. Mais l'acharnement des deux parties fut tel qu'on ne peut que considérer cette période comme un seul et même conflit. Conflit qui marqua la fin de l'âge des ténèbres.

Histoire des pays d'Orient

Le soleil se levait à peine quand l'armée royale se mit en branle pour attaquer Castel Tourane, avec Huy VI à sa tête. Avec plus de 30 000 soldats, c'était la plus grande force jamais levée au cours de cette longue guerre. Le roi avait bien l'intention d'en finir avec ce conflit et il avait minutieusement préparé cet assaut décisif avec ses généraux et ses conseillers. Organiser le déplacement d'une telle force était un défi logistique, aussi fut-il particulièrement soulagé quand tout le monde arriva en vue de la forteresse ennemie au moment prévu. Le plus dur avait été fait, songeait-il. Maintenant il ne restait plus qu'à se battre en suivant le plan.

— Les mages et leurs couvertures sont en position, Votre Altesse, l'informa un messager. Le Général Ten'Yragos n'attend plus que votre signal.

— Parfait. Qu'il en soit ainsi.

Aussitôt le signal royal transmis, les mages dégainèrent leurs bâtons et se mirent en position de tir. Les sentinelles ennemies se mirent à ricaner devant ce déploiement parfaitement ordonné, mais dérisoire face aux murailles colossales qu'ils défendaient. Adossé à la montagne, immense, vieux de plusieurs siècles, Castel Tourane était la forteresse considérée comme la plus redoutable du monde connu.

Seuls quels vétérans furent alertés par leur intuition, et ne rirent pas, se tenant prêt à toute mauvaise surprise. Mais ce qui se passa dépassa tout ce qu'ils auraient pu imaginer. Des sortilèges inconnus et d'une puissance inimaginable fusèrent vers eux et firent trembler tous le château. Un, puis deux, puis trois pans de murailles s'effondrèrent dans un fracas infernal, entraînant avec eux des dizaines de sentinelles et plusieurs officiers. Une fumée épaisse envahit alors la scène, immense nuage de poussière issu de la destruction incompréhensible qui venait de se produire.

— Reprenez-vous ! Ils arrivent !

Mais le chaos était total parmi les défenseurs. Bon nombre toussaient ou pleuraient à cause de la poussière incroyablement dense, d'autres ne voyaient plus rien, et ceux qui restaient en état de se battre n'avaient aucune idée de ce que faisait l'ennemi. Mais ce dernier arrivait bel et bien en force, guerriers et mages mêlés en une seule formation, au mépris de toutes les pratiques militaires conventionnelles. Profitant des brèches béantes qu'ils venaient d'ouvrir, ils s'engouffrèrent dans la forteresse, massacrant tous ceux qui leur résistaient sur leur passage.

— Repliez-vous ! Repliez-vous ! hurlèrent plusieurs officiers. Il faut protéger le donjon !

Mais il était déjà trop tard. L'armée royale avait enfoncé comme du beurre les deux premières lignes de défenses, arrivant là où nul ennemi n'était parvenu jusqu'à aujourd'hui. L'effet de surprise couplé à une discipline sans faille leur avait permis cet exploit avec une étonnante fluidité. Personne ne s'attendait à telle chose, aussi n'y avait-il presque aucun soldat en poste autour du donjon, tout le monde pensant ce dernier bien à l'abri. Un petit groupe d'élite émergea alors de la masse dense des assaillants pour pénétrer dans la haute tour carrée qui constituait le lieu le plus précieux de la forteresse. À sa tête se trouvait le célèbre général paladin Oléyan Ez'Ranka.

Aucune porte n'était barricadé dans le donjon, ce qui prouvait bien à quel point l'ennemi avait été confiant en ses murailles. Trucidant les quelques rares gardes qui avaient la malchance de se trouver sur leur chemin, ils progressèrent rapidement mais prudemment dans les escaliers étroits et retors. Dans ce genre d'environnement, il suffisait d'un seul guerrier décidé et talentueux pour arrêter une force ennemie vingt fois supérieure en nombre. Mais ils ne rencontrèrent que de la piétaille et se retrouvèrent rapidement devant la porte de la chambre du prince Yin. Cette dernière était fermée, mais elle fut promptement enfoncée, étant bien plus fragile que les lourdes portes de bois dur qui défendaient l'entrée du donjon. Il suffit d'un petit sortilège dans la serrure pour que cette dernière rende l'âme.

— Qu'est-ce ? fit une voix affolée.

Le prince Yin, à moitié nu et en galante compagnie, venait visiblement de se réveiller. Il essayait d'avoir l'air digne, mais avec une botte à moitié mise et un air de rongeur terrifié, ce n'était pas une franche réussite.

Oléyan s'avança, pointant sa somptueuse épée, aussi belle que dangereuse. Le contraste était impressionnant entre les deux hommes, l'un vêtu de son armure de guerre, une légère estafilade courant sur la joue droite, couvert de poussière, et l'autre vêtu d'un mélange d'habits de courtisans et d'habits de guerre mis à la hâte, sentant encore le parfum.

— Pitoyable... Vous n'aurez pas même pas su terminer votre carrière dans la gloire. Je parie que même avec le bruit des explosions, vous n'avez pas compris ce qui se passait.

Puis il se tourna vers ses hommes.

— Emparez-vous de lui.

Aussitôt, deux colosses apparurent presque comme par magie de part et d'autre du prince, ce dernier ne tentant même pas un geste de protestation, même symbolique. Les deux jeunes filles qui se trouvaient dans son lit hurlèrent et sanglotèrent de terreur.

— Ne vous inquiétez pas, mesdames, nous ne sommes pas des barbares. Je vous donne ma parole qu'aucune d'entre vous, ni aucune femme ni enfant de ce Castel ne sera maltraité.

Et après une magnifique révérence, il quitta la pièce avec ses hommes, trainant le prince  Yin complètement amorphe.

— Ses généraux se sont repris, lui annonça un de ses aides de camp. Ils se dirigent vers nous.

— Je vois. On va les calmer un peu.

Ils sortirent alors sur une terrasse surplombant la haute-cour, d'où le prince Yin devait probablement faire des discours ou des apparitions pour les gens du Castel.

— Nous tenons votre prince et votre donjon ! La bataille est déjà finie ! Cessez les combats et nous seront magnanimes envers vous !

Cette déclaration eut un terrible effet sur les défenseurs et leur moral. La moitié se rendit, accablée, et une autre partie n'opposa qu'une résistance de principe. Seul deux ou trois petits groupes isolés s'acharnèrent à combattre, et on dut se résoudre à les exterminer, faute de pouvoir obtenir leur reddition. On était encore en pleine après-midi, le soir encore lointain, quand le dernier combat prit fin, et que la forteresse fut intégralement sous le contrôle du roi Huy VI.

Le Royaume de Laprionie était fort ancien quand il entra en guerre contre les royaumes ordaniens qui avaient lentement grignoter son territoire. Le fait même qu'ils aient perdu autant de terres sans réagir était la preuve de leur décadence. Leur capacité à redevenir une grande puissance militaire fut une grande surprise tour tous.

Histoire des pays d'Orient

Une semaine après ces évènements, le roi Huy VI rentrait triomphalement dans sa capitale, Lirouange, après avoir laissé son deuxième fils et le Général Ten'Yragos en charge de Tourane et de ses environs. Le prince Yin avait été renvoyé contre rançon chez son oncle Ho, roi de Nha-Wu, où il allait sans doute passer le reste de sa vie en disgrâce. Il n'aurait sans doute rien pu faire, mais il resterait dans les chroniques comme le dernier Ordanien à avoir été chassé des terres de Laprionie. Ce n'était pas très glorieux, comme héritage, pour les générations futures... Plusieurs jours de fête eurent lieu pour célébrer la fin de la guerre de soixante ans. Le royaume contrôlait désormais toute la partie orientale du continent, et les anciens envahisseurs du Sud n'étaient plus là.

Puis la période des fêtes se termina, et chacun se replongea dans des tâches plus calmes et constructives, qui allaient devenir une routine quotidienne avec la paix nouvelle. Huy VI était donc fort logiquement plongé dans d'ennuyeux papier quand son majordome vint le prévenir que Dame Asmalina était arrivée.

— Faites-la entrer.

Asmalina était une grande et belle femme aux cheveux d'un noir profond, qu'elle portait de façon incroyablement longs. Elle était habillée de ce nouveau style de vêtements féminins, qi avaient conquis les nobles dames les plus jeunes. Ils étaient bien plus pratique pour se déplacer que les habits traditionnels, mais scandalisaient les vieilles générations et les plus conservateurs. Dame Asmalina avait eu un rôle non négligeable dans leur introduction et leur succès au sein de la noblesse et de la bourgeoise. Elle avait subi beaucoup de pression à ce sujet, mais son caractère à toute épreuve en avait triomphé avec une aisance qui en exaspérait plus d'un.

— Dame Asmalina...

— Mes hommages, Votre Altesse.

— Voyons, voyons. Ne soyez pas si formelle entre nous, cela ne vous va pas.

— Je croie que je m'habitue aux coutumes de ce pays. Cela fait vingt ans aujourd'hui que je suis arrivée, il est vrai.

— Vingt ans... J'ai l'impression que c'était hier. J'ai bien vieilli depuis.

— Moins que vous le pensez.

Le roi réprima un rire, puis sortir une bouteille et deux verres d'un petit placard discret. Il servit sa visiteuse et lui-même, puis la discussion reprit.

— Si on m'avait dit il y a vingt ans que nous chasserions tous nos ennemis en moins d'une génération, je n'y aurai pas cru. Le royaume n'a jamais été aussi étendu, et c'est en grande partie grâce à vous. Je vous en serai éternellement reconnaissant.

— Je n'ai fait que vous conseiller de temps en temps.

— Me conseiller ? Vous avez été bien plus qu'une simple conseillère... Vous avez mis sans dessus-dessous notre pays, et vous le savez bien. Si vous ne m'aviez pas montré l'avenir, je vous aurais probablement mise au cachot, au lieu de vous faire alchimiste royale.

— J'en serais sorti.

Le roi Huy la regarda, avec un mélange de lassitude et d'exaspération, puis dit :

— Le pire, c'est que vous dites probablement vrai. Enfin, peu importe. Si je vous ai fait venir, c'est à propos de cette idée que vous avez lancé l'autre jour.

— Laquelle ?

— Voyons, voyons, vous le savez très bien. Ce n'est pas la première fois que vous lancez une idée en l'air, comme si de rien n'était. Mais je vous connais bien, maintenant. Si vous parlez de monter une flotte de navires pour l'exploration et le commerce, c'est que vous êtes sacrément sérieuse à ce sujet.

— Je me rends à votre perspicacité. Je pense en effet que maintenant qu'une paix durable s'est installée, il est temps de passer à cette nouvelle étape.

— Ce ne sera pas facile de convaincre les marins. L'idée d'aller explorer l'Est est évoqué régulièrement depuis des décennies, mais toujours écartée. C'est un tabou bien ancré chez eux même parmi les marins les plus audacieux. Et même s'ils mettaient de côté les légendes de monstres ou de gouffre sans fond, l'idée d'aussi longues traversées leur semble irréaliste.

— Il faudra bien y arriver. Si votre royaume ne le fais pas, un autre le fera et prendre la place de plus grande nation. Les peureux et les sceptiques changeront vite d'avis quand ils verront les premières expéditions revenir.

— Donc il faut que la première expédition revienne pour lancer la première expédition ? Voilà qui risque d'être difficile...

— Votre popularité n'a jamais été aussi forte. S'il y a un moment pour convaincre les gens d'une telle idée folle, c'est maintenant.

— Je vais essayer d'y penser. Il y a bien sûr le comte Mïn'sandran. Je sais qu'il désire depuis longtemps monter ce genre d'expédition, mais bien peu de gens suivent ses idées. Avec mon soutien officiel, qui sait si cela ne changerait pas les mentalités Il arriverait alors à recruter assez de gens pour cette fameuse première expédition.

— Si quelqu'un peut y arriver, ce serait bien lui. Mais il faudra lui suggérer discrètement quelques idées sur l'organisation de la flotte, quels navires choisir, quelles provisions emporter... Le royaume a la capacité de traverser l'océan, mais uniquement s'il se prépare bien.

— Je vais le rencontrer dans la semaine alors. Si j'arrive à trouver une place dans mon emploi du temps...

Le roi Huy et sa conseillère discutèrent encore un peu, puis Dame Asmalina prit congé, le roi ayant encore un certain nombre de rendez-vous tous plus importants que les autres à honorer. Elle quitta donc la tour où le roi Huy avait ses appartements, descendant l'escalier centenaire. La forteresse était un véritable dédale, sans plan apparent, de couloirs, d'escaliers et de salles variées, encadrées par d'épais murs de pierre. Elle se dressait au milieu de la ville, surplombant les quartiers avoisinants de façon à la fois majestueuse et un peu inquiétante. En arrivant ici, il y a vingt ans, Dame Asmalina n'avait pu que l'admirer sincèrement, et aujourd'hui encore, bien qu'elle soit devenue éminemment familière, elle éprouvait toujours une sorte de respect pour celle que tout le monde appelait « la vielle dame ».

Ses propres appartements, ainsi que son laboratoire se trouvaient dans une tour relativement isolée, ce qui la faisait marcher souvent quand elle devait se rendre dans d'autres parties du château. Mais en contrepartie, elle avait bien plus de place, et elle pouvait aussi rentrer et sortir discrètement, grâce à une porte secondaire discrète et peu fréquentée donnant sur la ville.

Gravissant une petite volée de marches, elle ouvrit la porte de son domaine et y entra. Un joyeux désordre régnait dans son laboratoire, et il fallait faire attention en se déplaçant pour ne rien faire tomber, ni par terre, ni sur soi. Asmalina se déplaçait cependant avec une désinvolture qui avait plus d'une fois donné des sueurs froides à ses assistants. Heureusement, aujourd'hui, personne n'était là pour la voir passer au milieu de ses expériences en les frôlant. Avec la paix nouvelle, ils étaient tous partis voler de leurs propres ailes. Elle traversa la moitié de ses appartements sans s'arrêter, puis se dirigea vers une petite porte, ressemblant à celle d'un simple placard. Ce qu'elle était effectivement. Sauf que Asmalina tourna de façon étrange la poignée, et, après un regard pour s'assurer que personne n'était là, entra à l'intérieur sans hésiter.

Le lieu où elle arriva après être entré dans son placard ne ressemblait ni à un placard, ni à la forteresse médiévale d'où elle venait. C'était un confortable salon avec un immense canapé, deux tables basses, et dont les murs aux nombreuses bibliothèques étaient fait de bois et de métal cuivré. Trois portes donnaient sur d'autres pièces dont aucune ne semblait exactement au même niveau que le salon. Un chat dormait paresseusement sur un grand coussin. Mais surtout, les murs présentaient une sorte de courbure concave suggérant l'intérieur d'un navire. Ce qui n'était pas loin de la vérité...

— Alors ? Comment ça s'est passé ? demanda un homme qui était assis sur le canapé, lisant un journal.

— Plutôt bien, Peyre. Je pense que j'ai convaincu Sa Majesté. Mais c'est la partie la plus facile, ça.

Asmalina se tourna vers un mur et s'appuya sur le rebord d'une grande baie vitrée. Derrière, on pouvait contempler l'espace, des étoiles, et une magnifique planète bleue, typique de celles où les humains prospéraient. C'était la planète qu'elle venait de quitter grâce au passage caché dans le placard de son laboratoire.

— On a réussi pas mal de choses en vingt ans, mais on en arrive à un moment crucial. Faire passer cette civilisation au stade III sera bien plus dur que d'aider quelques pays à devenir puissants et progressistes.

— Ça prend le bon chemin, c'est déjà ça, dit Peyre. Mais tu as raison, vous allez devoir faire un choix important dans très peu de temps.

— Et oui... Est-ce qu'on décide de diriger cette planète vers une civilisation technomagique, ou est-ce qu'on laisse faire la tendance actuelle à faire de la magie ?

— Exactement. D'après ce que tu m'as appris, le niveau technologique n'est pas trop bas pour une civilisation basée sur la magie, mais c'est un peu tard pour en faire une civilisation technomagique. Par rapport aux précédents recensés, c'est un cas assez rare. Je suppose que le débat fait rage au sein du Conseil d'Infiltration Local ?

— Tu comprends parfaitement la situation, Peyre... Ils se prennent le chou sur ce sujet depuis une semaine, sans qu'ils aient avancé d'un pouce.

— La situation de ce monde est assez peu courante... Mais j'ai quand même connu la section RC plus audacieuse. On ne risque pas grand chose à tenter la voie technomagique avec un telle monde, pour moi.

— Les précautions sont à la mode cette année. Mais mieux vaut que je ne leur dise pas ce que je pense de leurs précautions.

— Oui, je pense que tu gagneras à être plus diplomate, fit Peyre en riant.

— Je leur rends mon rapport annuel dans deux jours. J'ai tout le temps de fignoler mes arguments pour qu'ils les convainquent. Et avec les succès que j'ai obtenu dernièrement, il seront bien obligé de m'écouter.

— Tu leur forces déjà un peu la main, en faisant du royaume une puissance navale, au lieu de pousser leurs recherches sur les sorts de téléportation.

— C'est le but.

Asmalina fit apparaître une carte holographique de la planète, flottant quelques centimètres au-dessus de la table basse. Les différents royaumes et empires y figuraient tous, avec une précision qui aurait fait baver tous les cartographes de ces pays. Le royaume de Laprionie y figurait en bonne place, occupant toute la partie orientale d'un des deux plus grands continents. Asmalina tapota quelques commandes, faisant apparaître les trajets d'explorations et les routes commerciales potentielles qui existeraient si ses projets réussissaient.

— Donne moi encore vingt ans et cette planète sera devenu le germe d'un monde technomagique très prometteur. Plus personne ne le contestera alors.

Les yeux d'Asmalina brillait d'une façon que Peyre ne connaissait que trop bien. Il aimait profondément sa femme, mais par moment, il était franchement heureux de s'occuper d'une autre planète, située avec bonheur dans le même système stellaire. Ils ne travaillaient pas ensemble, pouvaient se voir souvent... Leur couple ne s'en portait que mieux.

Quelques jours plus tard, Asmalina se dirigeait d'un bon pas, vers la demeure lirouangienne du comte Mïn'sandran. En orbite, le Conseil avait repoussé encore une fois sa décision, ce qui d'un côté lui laissait les coudées franches, mais rendait aussi ses efforts incertains à long terme. Sur la planète, le comte Mïn'sandran s'était montré incroyablement enthousiaste quand il avait appris que le roi soutenaient ses idées, malgré l'opinion publique le considérant comme un farfelu sans aucune crédibilité. Résultat, il avait fait plusieurs discours à ses hommes, fait placarder des avis sur le Port, et avait rencontré presque tous les capitaines présents dans la capitale. Ce qui, hélas, n'avait pas amélioré sa crédibilité auprès des marins. Son passé de navigateur bardé de décorations, bien loin de l'aider, sembler jouer contre lui. De plus en plus de gens pensaient désormais qu'il avait fait un voyage de trop, seule explication  possible à son empressement à naviguer vers l'Est.

La demeure du comte était une vielle maison arborant encore quelques traces de fortifications, reliques de temps plus incertains, ou l'unification du royaume était encore très incomplète. Elle avait été agrandie, surélevée et modifiée au cours des siècles, effaçant toute trace d'unité architecturale, si tant est qu'il y en ait eu une autrefois. Des nuées d'oiseaux jacassaient sur les toits et les rebords de fenêtres, et l'arrivée d'Asmalina ne passa pas inaperçu parmi eux.

Elle frappa à la grande porte et un serviteur la fit rapidement entrer dans la vaste demeure, la guidant aussitôt vers le bureau du comte. Mais ils n'eurent pas besoin d'aller jusque là pour le voir. Hélas, ce n'était pas parce que ce dernier allait au devant de sa visiteuse, mais parce qu'il se disputait bruyamment avec un autre homme, en haut du grand escalier. Vu son allure et ses vêtements, c'était probablement un des marins expérimentés qu'il essayait de recruter. Le serviteur essaya de guider Asmalina vers une antichambre pour lui épargner cette scène déplorable, mais cette dernière ne se laissa pas faire, trop intéressée par ce qui se passait.

Le comte Mïn'sandran était un homme grand et mince, presque maigre, avec de longs cheveux argentés. Malgré sa longue carrière de marin, il n'avait pas pris le teint halé ni l'aspect renfrogné typique de nombre de grands navigateurs, comme, par exemple, la personne avec qui il se disputait. Si on ajoutait à cela ses idées sur la navigation orientale, sa réputation d'excentrique était assez compréhensible.

— Cher ami, je vous en prie, ne partez pas ainsi !

— Vous êtes complètement fou ! Il est hors de question que je prenne part à vos projets démentiels. Je ne tiens pas à mourir, où à mener mon équipage vers une mort certaine !

L'inconnu tourna alors le dos au comte, et descendit rapidement le grand escalier. Il tomba alors nez à nez avec Asmalina, ce qui le fit s'arrêter sur place.

— Ah, je comprends mieux toute cette histoire, fit-il avec une grimace de dégoût. Voilà probablement la responsable !

— Que voulez-vous dire, ?demanda-t-elle sans perdre son calme ni son sourire.

— Vous le savez très bien ! Il n'y a que vous pour avoir convaincu le roi de soutenir les projets déments de cet illuminé notoire !

Cependant, le comte avait pu rejoindre ces deux invités, profitant du fait que leur face à face les rendaient immobiles.

— Ha. Dame Asmalina, je suis désolé de vous infliger une rencontre dans de telles circonstances.

— Ne vous en faites pas, répondit Asmalina. Ce genre de désagrément est à prévoir, quand on se lance dans un projet aussi ambitieux.

Mais l'inconnu, qui quelques secondes auparavant, semblait vouloir partir en trombe, s'était ravisé, et clama tout haut au comte :

— Je vais aller voir le roi ! Il n'est pas normal qu'il soutienne un tel projet, je suis sûr que je peux le raisonner.

— Voyons, voyons, ne vous emportez pas comme ça, fit le comte, tentant de le calmer sans trop de succès.

— Je pensais que vous étiez un vieux fou inoffensif. Mais si vous vous alliez avec cette étrangère pour manipuler le roi, ça ne se passera pas comme ça ! Je ferais tout pour vous empêcher de nuire !

— Ce sont de bien graves accusations, que vous portez là, fit Asmalina, le regardant droit dans les yeux, tout en cachant son amusement.

— Oh que oui ! Je ne vais pas lâcher cette affaire de sitôt !

Et tout en continuant de crier haut et fort tout son mécontentement, il se décida enfin à reprendre sa course vers la porte de la maison, où il disparut rapidement. Le comte poussa un long soupir, puis se reprit aussitôt, se rappelant la présence d'Asmalina.

— Je manque à tous mes devoirs... Excusez-moi...

Il lui fit signe de la suivre dans son bureau, où ils purent s'installer tranquillement.

— Vos démarches semblent pleines de péripéties...

— C'est le cas de le dire, hélas... Ces ridicules superstitions sont bien trop répandues à mon goût. Personne ne veut prendre part à une expédition que j'organiserai, même en les payant une fortune. J'espère que Maître Savas ne va pas faire changer d'avis le roi...

— Ne vous inquiétez pas, le projet de navigation vers l'Orient lui tient vraiment à cœur. Ce n'est pas le premier venu qui le fera plier.

Et ils se mirent au travail, oubliant vite l'incident fâcheux qui venait de se passer, comme s'il était sans importance.

Ce ne fut que quelques jours plus tard que Dame Asmalina, conseillère et alchimiste royale, ne put éviter de se heurter aux conséquences de cette rencontre qu'elle croyait plus comique qu'autre chose. Si le roi avait ignoré les accusations de Maitre Savas, ce dernier ne s'était pas arrêté à cet échec et en avait parlé à d'autres personnes plus réceptives.

Asmalina était à un tournoi de lancer de sortilèges offensifs, ou le roi Huy, son entourage, et bon nombre de courtisans étaient réunis. Ils se déroulaient dans une grande cour du château, où l'on avait disposés des cibles, ainsi qu'une tribune pour le roi et ses proches. Pendant que les jeunes gens engagés dans le tournoi se succédaient, bon nombre de spectateurs ne les regardaient que d'un d'œil distrait, occupés qu'ils étaient à d'importantes conversations , ou en tout cas qu'ils jugeaient comme telles. Et bien entendus, bien des spectateurs étaient venus simplement pour être vus.

Ce n'était pas le cas d'Asmalina, mais elle comprit assez rapidement que quelque chose clochait, à la façon dont certains groupes de courtisans la regardaient. Au début, elle n'y avait pas prêté trop attention, de nombreuses personnes la regardaient de travers depuis des années, pour des raisons qu'elle ne connaissait que trop. Mais ce jour-ci, le nombre et l'identité des personnes qui la regardaient en douce n'avait rien d'habituel. Elle les ignora cependant, comme toujours, et salua Oléyan Ez'Ranka, qui l'accueillit avec sa jovialité habituelle. Au moins lui était un allié sûr, dans la jungle de la cour royale, et elle ne l'avait pas vu depuis le retour triomphal de l'armée.

— Je ne pensais pas vous voir ici. Dois-je comprendre que maintenant que la guerre est finie, vous ne savez plus comment vous occuper ?

— C'est un peu ça, fit-il en riant. Mon emploi du temps est bien plus calme désormais, c'est indéniable. Mais entre nous, j'ai bien peur que ma femme me trouve de nouvelles occupations sociales très rapidement, pour combler tout ce temps libre.

Cette dernière n'était en effet pas très loin, occupée à discuter avec trois nobles dames. Elle n'accorda qu'un bref regard à Asmalina. Elles n'étaient pas amies, leurs personnalités et leurs préoccupations étant bien trop différentes, mais il n'y avait aucune animosité entre elles. Principalement parce qu'Asmalina avait discrètement fait comprendre que séduire Oléyan n'était absolument pas dans ses objectifs.

— Je comprends maintenant votre présence ici.

— Exactement. Je suis ici pour ne rien faire.

Asmalina et Oléyan se tournèrent alors vers la compétition, et pendant un bon moment, ne parlèrent que pour commenter celle-ci. Parmi les plus jeunes, certains étaient forts prometteurs, même si leur manque d'expérience et d'entraînement était criant. Oléyan aurait volontiers continué ce repérage de jeunes talents, mais tout autour d'eux, il n'était que trop évident que bon nombre de gens marmonnaient et s'agitaient. Oléyan finit par chuchoter discrètement.

— Il semblerait que de nouvelles rumeurs circulent sur vous. De qui diable avez-vous donc attisé la jalousie pour obtenir un tel résultat ?

— J'ai bien peur d'avoir réussi à me mettre à dos des gens que je ne connais même pas. C'est probablement ceux qui pensent que je manipule le roi à propos du projet de navigation vers l'Ouest.

— Pour une telle chose ? Je suis sceptique. Cela semble largement déborder le cercle restreint des navigateurs, ce qui serait fort surprenant. La plupart des gens en dehors des marins trouvent ce débat parfaitement ennuyant.

— Pourtant je ne vois pas ce que j'ai pu faire d'autre récemment. Avec la fin de la guerre, mes occupations se sont tout autant raréfié que les vôtres.

Oléyan fit alors discrètement signe à un de ces hommes, un chevalier assez jeune mais en qui il semblait avoir toute confiance et lui donna un ordre à voix basse.

— Vous utilisez vos hommes pour espionner les courtisans ?

— Voyons, voyons... Bien sûr que non. Je ne fais que leur demander d'ouvrir leurs oreilles. Ce qui, ma foi, peut vous sauver la vie en terrain hostile aussi bien qu'au milieu d'alliés. Un sain entraînement pour nos plus jeunes chevaliers. Le roi lui-même m'a offert ce conseil il y a fort longtemps.

— Je vois... fit Asmalina en souriant.

Le jeune homme revint au bout de quelques minutes, sans même que Asmalina ne le voie approcher, ce qui était un point en sa faveur. Il était vraiment discret, ce qui n'était pas si courant à son âge. Il fit son rapport tout aussi discrètement, et Oléyan le congédia avec un petit geste d'approbation.

— Vous voilà devenu une sorcière, ma chère...

— Une sorcière ? Comme c'est original... En quel honneur ?

— Les avis semblent diverger. Certains parle de l'influence qu'ils pensent que vous avez sur le roi, d'autres de votre comportement, mais la majorité semblent penser que vous êtes trop belle pour votre âge. Cela n'a en effet rien de très original, j'en ai bien peur.

— C'est le cas de le dire. Si ce n'est que ça, je ne pense pas que j'ai beaucoup de soucis à me faire. Ce genre de stupidité à mon sujet va et vient régulièrement. Dès que la cour aura trouvé quelque chose ou quelqu'un d'autre pour se distraire, ils m'oublieront.

— Je vous trouve bien confiante...

— L'habitude, hélas...

La magie était connue depuis des temps immémoriaux. Toute innovation était cependant très lente à s'imposer, et le devoir d'un magicien était avant tout de savoir lire et apprendre ce que les anciens connaissaient. Ce qui faisait autrement étaient nommés sorciers, ou aussi hérétiques.

Histoire des pays d'Orient

Pour cette raison, qui semblait parfaitement raisonnable sur le moment, Dame Asmalina continua à ignorer tranquillement les ragots qui circulait à son sujet, ne se souciant même pas de savoir si leur contenu évoluait au fil du temps. Elle avait il est vrai d'autres préoccupations en tête, entre le projet de navigation, ces activités d'alchimiste royale, et les nouvelles exigences du Conseil d'Infiltration Local. Avec la fin de la guerre de soixante ans, ils estimaient qu'Asmalina avait plus de temps, et lui avait donc demandé de diversifier ses activités d'agent infiltré et de recueillir des informations complémentaires sur la société locale. Bref, de faire du travail d'observateur, alors que ce n'était pas son rôle, et que ce genre de choses était censé avoir été fait sur cette planète depuis des décennies, en amont de son propre travail.

C'est ainsi qu'elle était en train de prendre des notes passionnantes sur les différentes architectures de gouttières des quartiers populaires quand le jeune chevalier qu'elle avait vu l'autre jour avec Oléyan apparu soudainement, visiblement soulagé de la trouver.

— Ha ! Dame Asmalina ! Vous étiez-là ! Nous vous cherchons partout

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, surprise qu'on vienne la chercher jusque dans ces quartiers, parmi les plus modestes de la ville, où  personne de censé n'aurait pensé qu'elle allait.

— Votre laboratoire est en train d'être saccagé ! Ils ont profité que le roi soit absent du château pour la journée !

— Quoi ? Mais qui ça ?

— Ce serait trop long à expliquer. Venez, je vous en prie, il faut vous mettre en sécurité avant qu'ils ne vous trouvent.

Asmalina songea une seconde à lui dire qu'elle savait très bien se protéger tout seule, mais se retint. Si Oléyan avait envoyé ses hommes, c'est que la situation était sérieuse. Et si on l'attaquait en public, elle aurait bien du mal à se défendre sans abandonner sa couverture. Elle rangea donc son carnet de notes à la vitesse d'un prestidigitateur, et dit simplement :

— Je vous suis.

Le jeune chevalier la conduisit aussitôt en la faisant passer par des ruelles et des raccourcis si discrets que même elle ne connaissait pas. En quelques minutes, ils arrivaient devant une petite redoute, servant autrefois à défendre la ville, mais qui avait depuis longtemps été absorbée par la croissance de la ville. Là, ils retrouvèrent Oléyan Ez'Ranka, occupé à prendre connaissance des rapports qu'on lui faisait, tout en étudiant un plan de la ville. Il paru franchement soulagé de la voir arriver.

— Maintenant que je suis en sécurité, quelqu'un va-t-il m'expliquer ce qui se passe exactement ?

— Dame Asmalina, désolé de vous avoir fait amenée ici de façon aussi cavalière. Mais l'urgence de la situation l'imposait.

— J'ai cru comprendre que des malandrins s'en prenaient à mon laboratoire. Mais il est dans le château. Comment de tels agissements peuvent continuer sous les fenêtres du roi ?

— La foule s'est attroupée très rapidement et sans aucun signe précurseur. Ce n'est pas normal et je crains que ce ne soit pas une émeute spontanée et isolée. Cela pourrait fort bien être une diversion, crée pour que d'autres d'incidents de ce genre éclatent ailleurs. Ce serait le début d'un problème bien plus vaste.

— En effet, tout ceci pue les magouilles des conservateurs à cent lieues de distance. Le roi aurait du les museler bien plus tôt.

— Plus facile à dire qu'à faire. Et puis pendant la guerre, ils étaient plus utiles que dangereux, ils n'auraient jamais osé déstabiliser le pays, même pour le faire aller dans leur direction. Il faut croire que maintenant ils pensent pouvoir faire ce qu'ils projettent depuis des années?. Mais jamais je n'aurais imaginé qu'ils agissent aussi vite après la fin de la guerre.

— Probablement leur orgueil. Ont-ils osé s'attaquer à la Tour du Roi ?

— Non, bien sûr, ils en sont encore loin. Votre laboratoire est la seule partie du château qui ait été la cible de ces troubles, pour le moment. Son isolement en fait hélas une cible facile.

— Comme par hasard. J'ai sous-estimé leur haine à mon égard, l'autre jour.

Cependant, on présentait un nouveau rapport à Oléyan, et il dit aussitôt à Asmalina :

— Mes éclaireurs dans les souterrains me disent que la voie est libre. Nous allons pouvoir vous amener dans le château discrètement. Le roi est également en chemin, il a écourté sa visite.

Il lui fit signe de le suivre dans la cave, et de là, passèrent dans un réseau de souterrains dissimulés derrière une rangée de bouteilles de vins. Asmalina avait entendu parler par plusieurs allusions de ce fameux réseau de souterrains, mais c'était la première fois qu'elle se retrouvait à les parcourir. Elle avait même douté de leur existence réelle. Elle prit note dans sa tête de les faire scanner et cartographier par son syuk. C'est le genre d'information que ses supérieurs allaient apprécier. Et ce serait plus intéressant que les gouttières...

— Faites attention à de pas vous cogner la tête. Ces passages n'ont pas vraiment été fait pour le confort de ceux qui les empruntent.

Ce n'était pas des paroles lancées à la légère. De nombreux passages au plafond plus bas surgissaient sans prévenir, et le manque de lumière n'aidait pas vraiment les choses. Le sol était tout aussi irrégulier, malgré le bon état général de l'ensemble. Aucune infiltration d'eau, très peu de moisissure, pas de fissures ni d'éboulement... On aurait presque dit que toute cette irrégularité était plus voulu qu'accidentelle. Ils marchèrent du coup bien moins vite qu'ils ne l'aurait voulu, faisant sans cesse attention à où ils mettaient leurs pieds et leur tête. Ils finirent par arriver à la base d'un escalier à colimaçon, et après encore quelques détours, arrivèrent dans les couloirs du château, non loin de la salle du trône et des appartements du roi.

Ils entrèrent dans une grande salle, à peine plus petite que la salle du trône, où plusieurs personnes proches du roi Huy se réunissaient peu à peu. Un vrai conseil de guerre, alors que l'on venait de décréter la paix... Plusieurs fenêtres donnaient dans la direction où se trouvait le laboratoire d'Asmalina. Le cœur serré, elle constata qu'une colonne de fumée s'en élevait.

— Ont-ils donc mit le feu au château ?

— Non, juste à vos livres, fit une voix, avec un accent sincèrement désolé.

Asmalina se tourna pour voir le roi Huy qui s'approchait d'elle. Ce dernier avait une expression étrange, qu'elle n'avait vu que rarement sur son visage. Elle réalisa que c'était probablement de la colère contenue mêlée de frustration.

>— Je pensais que la paix me simplifierait mon travail de roi, mais il semble que je me sois trompé.

— Quels sont vos ordres, Votre Majesté ? demanda Oléyan, visiblement soulagé de voir que ce dernier était arrivé.

— La situation est délicate... S'il s'agissait de l'ennemi, je pourrais ordonner à mes troupes de les massacrer. Mais je ne puis me résoudre à agir aussi violemment avec mon peuple, surtout si peu de temps après notre victoire...

— Père! fit le prince Yojinez, indigné au point de l'interrompre. Ce sont des émeutiers ! Ils ne méritent pas une telle compassion.. Beaucoup les feraient pendre au gibet sans hésitation.

Ce dernier était connu pour son impétuosité et sa sévérité envers tout criminel. Au grand désespoir de son père, il ne cessait de remettre en question les reformes et la modération de ce dernier. Pire encore, il était en très bons termes avec plusieurs conservateurs, parmi les plus acharnés opposants au roi.

— Et quel bien cela ferait-il ? D'autres les remplacerait avant que les corbeaux n'aient mangé leurs yeux. Ce sont les responsables qu'il faut trouver et pendre, et non pas ces esprits simples qui se font aisément manipuler. Un massacre ne ferait que rendre plus facile le travail de mes ennemis conservateurs, en indignant le peuple. Ils seraient ravis que je déstabilise moi-même mon règne.

— Vous êtes trop tolérant, Père, fit-il, sans relever la pique contre ses amis. Ce n'est pas en manquant de fermeté que l'on gouverne un pays !

— Yojinez, taisez-vous donc avant de manquer de respect à votre père, fit alors Oléyan, excédé par la conduite du prince.

Les deux hommes se regardèrent en chien de faïence pendant de longs instants, puis le roi Huy reprit la parole. Ce n'était plus la voix lasse et vaguement impuissante, mais sa célèbre voix de commandement, celle qui avait rallié des centaines de milliers d'hommes pour bouter les Ordaniens hors des terres de Laprionie.

— Taisez-vous ! Nous avons besoin d'unité pour contrer cette crise. Le premier qui fait mine de semer la zizanie en notre sein, je le fait mettre au cachot. Je suis sérieux ! Yojinez, je n'ai pas besoin que tu critiques ma politique et les décisions qui en découlent, C'est parce que nous avons réinventé nos traditions que nous avons gagné cette guerre et que le royaume est prospère. Tout le monde dans cette pièce s'en rend compte, et toi aussi, tu le sais. Alors ne trahit pas la confiance que j'ai mise en toi, et cesse donc d'écouter les discours des  conservateurs que tu croises à la cour.

— Je ne nie pas cela, Père, fit Yojinez. Mais même si les insurgés sont des imbéciles manipulés, cela n'empêche pas le fait que les laisser faire déstabilise tout autant votre statut de roi. Je ne crois pas que passer pour un roi laxiste ou fatigué soit un meilleur parti que de passer pour un roi sanguinaire comme nos ancêtres.

— Je n'ai jamais parlé de les laissez faire. Mais d'ailleurs, que propose-tu, donc, Yojinez ?

— À défaut de les pendre sur le champ, ordonnez au moins les troupes de les arrêter et de les mettre au cachot. Il faut dissuader les imitateurs potentiels !

— Le problème, c'est que cela dépasse les capacités du guet. De l'autre côté, mes troupes de soldats ne savent que tuer. Si je les lance sur les émeutiers, ce sera un massacre. Je ne puis les laisser plus longtemps faire ce qu'ils veulent, mais je n'ai guère de solution évidente.

— Si je puis me permettre, dit Asmalina, il est sûrement possible de réduire les dégâts en faisant appel à des mages. Ce serait l'occasion pour eux de lancer des sorts de désorientation et de fatigue en situation réelle. Nos guerriers les ont toujours considérés comme trop déshonorant pour les utiliser au combat. Mais ici, ce n'est pas la guerre, ils ne devraient pas y voir de problème.

— En effet, dit Oléyan, c'est ingénieux. Je ne pense pas que quiconque tiquera à cette idée dans ce genre de circonstances. Et si cela marche, on pourra même intégrer des mages au sein du guet.

— Parfait, dit le roi. Passons donc à l'action.

Ce dernier paraissait soulagé d'avoir enfin un plan d'action viable. Mais encore une fois, Dame Asmalina avait joué un rôle crucial, et ce au su et au vu de trop de monde, même s'il s'agissait de ses proches, d'hommes de confiance. Lui savait pourquoi sa conseillère était aussi précieuse, et qu'il ne pouvait se permettre de ne pas l'écouter. Mais il était hélas le seul.

L'arrestation des émeutiers fut musclée, rapide et destructrice. Il y eut de nombreux blessés, mais par miracle, aucun mort. Le massacre avait donc été évité de justesse, et la rébellion stoppée nette. De ce côté là, c'était donc un franc succès. Mais il ne restait quasiment rien du laboratoire de Dame Asmalina. Le visage pâle, les traits figés, elle constata les dégâts avec une colère et un découragement qu'elle essayait de cacher, mais qui n'était que trop visible.

— Ils ont tout brûlé...

Elle s'arrêta devant un tas de livres calcinés entassés sur le sol de la cour, encore vaguement reconnaissables, mais qui n'en était pas moins irrémédiablement détruits. Ils s'effritèrent dès qu'elle les toucha, ne laissant qu'une fine poussière. Elle se tourna pour cacher son visage, mais le roi compris que c'était pour ne pas faire voir ses larmes. Ce dernier, malgré la situation, ne put s'empêcher de remarquer que cela confirmait de nombreuses observations qu'il avait fait sur Dame Asmalina et son peuple au fil des années.

Ces derniers s'efforçaient de toujours garder leur calme et de ne jamais montrer quelles coutumes ils trouvaient barbares. Ils étaient d'une tolérance extrême, soutenant qu'un de leurs principes de base était de condamner toute attitude dogmatique. Ils allaient même jusqu'à dire que la recherche de vérités absolues et de règles morales universelles étaient un signe d'immaturité pour une société. Huy avait déjà du mal à comprendre la logique d'une telle philosophie. C'était en outre agaçant, voire humiliant, de les voir aussi condescendants avec les pays qu'ils aidaient, tels que le sien. Il avait alors l'impression d'être un petit enfant éduqué par un parent modèle traite son enfant. Il trouvait un tel comportement presque inhumain et effrayant par certains aspects.

Mais les autodafés semblaient être une des rares choses qui pouvait faire tomber leur masque de patience, leur faire éprouver un sentiment qu'on ne pouvait que décrire comme de la haine, voire comme du fanatisme. Il l'avait découvert peu de temps après sa première rencontre avec Asmalina, il y a des années, quand il organisait encore des autodafés contre les hérétiques. Elle avait alors eu une réaction d'une violence inouïe. D'une certaine façon, cela le rassurait Aussi puissants et avancés qu'ils étaient, ils restaient fondamentalement aussi humain que lui et son peuple.

— Les responsables seront punis, je vous en assure.

Ils entrèrent dans les ruines calcinés du bâtiment, constatant que la même désolation régnait à l'intérieur. Enfin, si on pouvait encore parler d'intérieur pour un bâtiment qui venait de perdre son toit.

— Je pourrais tout reconstituer en quelques jours, bien sûr, fit Asmalina à voix basse, constatant qu'ils étaient seuls. Mais ce serait difficile, voire impossible, de le faire sans éveiller de soupçons. Donc je ne puis le faire...

Elle soupira longuement.

— Au fond, le pire dans cette histoire, c'est que je ne peux m'empêcher de considérer une telle sauvagerie que comme un échec de ma part. J'aurais dû anticiper de telles réactions, après avoir tant bouleversé le pays, au lieu de les sous-estimer.

— Ne pensez pas ainsi, c'est un coup dur, mais en aucun cas un échec. Ce sont nos succès qui rendent nos ennemis aussi jaloux et brutaux. Ce n'est pas un hasard s'ils ont fait de vous une cible du peuple, c'est à cause de vos succès.

Asmalina soupira de frustration.

— Vous avez raison... Plus que jamais, ils détestent mon influence sur ce pays... en particulier les idées que je répand sur la science et sur la magie... Celles qui selon eux frôlent la sorcellerie ou la pire des hérésies.

— Hélas oui... Tout ceci, couplé à vos origines mystérieuses, rend les conservateurs particulièrement hostiles envers vous. Je ne sais que trop bien l'aide précieuse que vous avez apporté au pays. Mais il semblerait que bien des gens du peuple ne voit encore en vous qu'une sorcière éternellement jeune et belle. Vous imaginez sans peine les conséquences quand un beau parleur désire les manipuler.

— Je n'y peux rien hélas. Je ne peux pas accomplir ma mission en me terrant dans un coin.

— Et moi, je ne peux pas changer les mentalités assez rapidement. D'ailleurs, même vous ne seriez pas d'accord. Combien de fois m'avez-vous dit qu'on ne pouvait pas précipiter les changements, de quelque nature qu'ils soient ?

— Je sais, hélas... Je sais. Nous allons devoir faire avec les conservateurs si ne ne pouvons pas les museler discrètement.

Cependant le général Oléyan arrivait et ils se turent. Inutile que ce dernier entende des conversations qui puisse lui faire se poser des questions. Et ce même s'il était un des rares proches du roi Huy VI à qui il envisageait de révéler le secret de Dame Asmalina.

— La situation est calme dans toute la ville, la population semble se désintéresser de ce qui s'est passé. Tout risque de nouvel incident semble écarté pour le moment. Soit ce n'était pas une diversion, soit ils ont préféré avorter leurs plans. Nous avons cependant capturé un certain nombre de suspects supplémentaires, dont deux hommes que je jurerai avoir parmi les meneurs des émeutiers au tout début.

— Parfait. Il est de la plus haute importance que nous découvrions les initiateurs de tout ceci et leurs objectifs précis. Nous devons les trouver, les juger, les punir et les humilier. Il faut que les conservateurs comprennent qu'une guerre civile est inacceptable !

Asmalina, malgré sa colère, ne put qu'être une fois de plus impressionnés devant certains aspects de la personnalité du roi Huy. Il était passé de la compassion à la fermeté la plus absolu en quelques secondes. C'était un des raisons parmi d'autres qui confirmait que son choix en tant que personne à soutenir au sein de ce pays avait été plus qu'adéquat.

C'est une Asmalina exténuée et un peu démoralisée que Peyre vit revenir ce soir-là à bord de leur yacht spatial. Il ne connaissait que trop bien cette expression, et lui prépara un thé de Tergulia tout en lui offrant de lui raconter ce qui se passait.

— J'ai l'impression que je ne vais pas pouvoir rester très longtemps dans ce pays. Cela fait trop longtemps que j'y suis.

— Que veux-tu dire ?

— Tout simplement que depuis vingt ans que je suis sur cette mission, mon apparence physique n'a pas assez changé. La plupart des dames nobles de mon âge sont presque toutes passés du stade de belles courtisanes à celui de matrones acariâtres. Je ressors du lot...

— Tu as pourtant artificiellement accéléré son vieillissement, comme la plupart des agents le font...

Asmalina se mordit la lèvre.

— De toute évidence, pas assez pour cacher ma biologie améliorée par des siècles de génie génétique et de nanoniques. J'ai l'impression d'avoir contrarié le bonne marche de ma mission à cause d'une fierté mal placée ou de je ne sais quoi.

>— Mais non, et tu le sais très bien. Ce n'est pas de ta faute si les grossesses répétées et d'autres fléaux épuisent aussi souvent les femmes de cette planète. Toi et tes collègues avez même introduit de grandes avancées sociales et scientifiques pour les femmes de cette planète pour, pallier leur niveau médical limité. Mais la pression sociale est vraiment forte et les progrès trop lents. Certaines femmes sont aigries car elles perçoivent qu'elles vivent une génération trop tôt.

— Peu importe, tout ça ne m'excuse pas. J'ai sous-estimé la différence entre ma biologie et celles des femmes de cette colonie perdue. Même si c'est juste le ressenti d'une minorité, le fait est que je suis de plus en plus remarquée sur mon apparence, et qu'il n'y a aucune chance que ce problème s'améliore. Mon influence sur le roi exaspère mes ennemis depuis des années, et mon apparence leur donne un prétexte de rêve, une arme redoutable contre moi. Bref, je suis grillée, ou sur le point de l'être, et certains commencent déjà à en profiter.

— Tu ne seras pas le premier agent à qui ce genre de problème arrive, tu sais...

— Je sais, mais le plus frustrant, c'est que je suis sûre qu'un homme n'aurait probablement pas eu ces problèmes. On aurait juste admiré sa vigueur naturelle, ou une autre bêtise dans ce genre...

Peyre eut un petit rire sarcastique, puis ajouta :

— Allons, ne sois pas cynique comme ça, ça ne te va pas du tout.

— Que dois-je faire alors, dit-elle, tout en buvant lentement son thé par petites gorgées.

— Je ne sais pas, mais reprend-toi. Je suis sûr que tu n'es pas aussi grillée que tu le penses. Tu as encore sûrement bien assez de temps pour continuer ta mission. Une partie de celle-ci en tout cas.

— Pas avec les ennemis que je suis en train de me faire.

— Alors riposte, fonce. Trouve les responsables du sac de ton labo et fait leur payer. Trouve et utilise des alliés puissants parmi les femmes du royaume. Profite des points faibles des conservateurs. Attends, j'ai en tête deux trois précédents qui devrait t'intéresser, je te les télétransmets.

— Tu suggères que je retourne la situation à mon avantage ? C'est assez osé comme stratégie. Tu es toujours aussi cinglé tu sais ?

— Si je ne l'étais plus, tu finirais par me quitter...

Quelques heures plus tard, Asmalina se glissait discrètement dans une partie du château qu'elle évitait en temps normal : les geôles. C'était sans surprise des souterrains mal-éclairés, au sol glissant, et dont les odeurs étaient un mélange sans cesse renouvelé des pires fragrances d'origine humaine voire animale. La politique progressiste du roi Huy avait des limites, et l'amélioration des conditions de détention des prisonniers se situait bien au-delà.

— On ne passe pas ! lui fit un garde, tandis qu'elle arrivait enfin dans le bon couloir.

Mais Asmalina agita les doigts de sa main droite devant le nez du garde, et son regard devint blanc. Il la laissa alors passer comme si elle avait été invisible. Elle repéra sans problème la cellule où elle voulait aller, aux cris qui s'en échappait.

— Que diable faites-vous ici ?

Le bourreau en chef était tout simplement stupéfait de voir la conseillère du roi arriver en de tels lieux sans prévenir. Le traitement qu'il infligeait aux prisonniers du jour était de la rigolade en comparaison de ceux destiné aux suspects de meurtre, de complot ou de trahison.  Mais ça n'en restait pas moins un spectacle à ne pas montrer à une dame.

— Ils se sont attaqués à moi, dit-elle calmement. J'ai le droit et le devoir de leur extorquer la vérité moi-même.

— Vos paroles sont ridicules ! Personne ne va faire mon métier à ma place, même s'il était général en chef. Sortez !

— Quelle plaie...

Et elle figea sans hésiter le bourreau et ses deux aides, qui affichèrent le même regard blanc que le garde.

— Aidez-nous, je vous en supplie ! fit un des prisonniers, se méprenant sur les intentions d'Asmalina.

Mais cette dernière se dirigea vers un des prisonniers, dont l'apparence correspondaient à la description des leaders de l'émeute, telle que Oléyan l'avait faite au roi. Elle plaqua sa main sur le front de l'homme, la tenant à quelques millimètres. Seul le métal d'une de ses bagues touchait, ou plutôt, effleurait, la peau luisante de sueur du prisonnier.

— Parle ! Qui t'as payé pour pousser les mécontents à l'émeute et brûler mes livres ?

Le prisonnier essaya de résister quelques instants, mais les choses qu'il voyait désormais étaient bien pires que toutes les tortures dont il avait entendu parler. Ses craintes, ses erreurs, ses compromis moraux, ses scrupules refoulés, tout remontait à la surface et se mélangeait pour lui faire soudain prendre conscience de ce qu'il était. Était-ce son âme à nue que cette sorcière lui faisait contempler ? Il eut un flash de haine absolue pour elle, mais ce fut aussitôt submergé par la honte de ce qu'il était, des innombrables crimes qu'il avait commis, des malheurs et de la souffrance qu'il avait causé. Malgré toutes ces années où il s'était endurci pour devenir une crapule capable des pires crimes, sans une once de remords, il éclata soudain en sanglot comme un petit-enfant, brisé.

Cette méthode d'interrogation était terrifiante et Asmalina le savait. Elle et les siens ne l'utilisait pas à la légère, et elle savait que c'était une faute de l'utiliser sur de tels minables, même pour calmer sa colère. Surtout pour calmer sa colère. Mais elle le faisait. L'homme se mit à parler, oubliant tout de sa détermination d'à peine quelques minutes plus tôt.

— Je ne sais pas qui a tiré les ficelles. J'ai été abordé dans une taverne du quartier des mouches, et je n'ai pas demandé son nom à celui qui m'a payé.

Classique... Désespérément classique, comme histoire.

— Décris-le moi.

— Il portait des habits de marchands, mais c'était un soldat, pas de doute. Sa carrure et ses mouvements était ceux des troupes d'élites de l'armée.

— Réfléchis bien. Je suis sûr que tu as remarqué d'autres détails.

— Je... Je...

Asmalina modifia un peu le contrôle de la bague, permettant au prisonnier d'accéder à des zones plus profondes,de sa mémoire, qu'il aurait été incapable d'utiliser en temps normal. Des souvenirs oubliés ressurgirent alors, devenant clairs comme de l'eau de roche.

— Il avait une bague... Il cachait ses mains, mais j'ai quand même pu la voir... Je suis sûr que c'était une salamandre.

Une salamandre... C'était donc le duc Haute-Lindanie qui était derrière tout ceci. Ce n'était pas étonnant, et en fait, c'était même parfaitement logique. C'était un conservateur pur jus, il n'aimait pas le comte de Mïn'sandran, et son frère Urtasinien était un armateur très influent dans le milieu maritime. S'il pensait avoir pris ces précautions, il allait bientôt regretter de ne pas savoir choisir des intermédiaires plus discrets, qui pensaient à enlever tout signe distinctif en allant recruter à la taverne.

— Bien. Oublie désormais que je suis passé ici. Mais je te conseille de ne pas résister aux pratiques expertes du vrai bourreau de ces lieux désormais. En aucun cas je ne suis venu ici pour le remplacer.

Et elle repartit aussi discrètement qu'elle était arrivé.

Les jours suivants, Asmalina se fit très discrète au sein de la Cour, ce qui bien sûr ne fut pas sans être remarqué. Les spéculations allaient bon train sur ce qu'elle allait faire après la destruction de son laboratoire d'alchimie. Certains parlaient d'un départ de la Laprionie, pour revenir dans son pays natal. D'autre suggéraient sans détour que sa santé mentale en avait souffert et qu'elle n'était plus la même. Bien entendu, il y avait aussi bon nombre de gens qui étaient ravis, et pensaient avoir gagné la partie, parmi lesquels le duc Haute-Lindanie figurait en bonne place. Ce dernier se déplaçait donc de plus en plus souvent dans le château, pour se faire voir, entouré de bon nombre de courtisans.

— Nous voilà enfin débarrassé de cette femme, faisait-il, triomphant. Il n'était que grand temps de rétablir l'ordre juste dans ce pays.

— C'est certain, lui répondit un courtisan flagorneur. Si nous laissons les femmes prendre les rôles des hommes, toute la grandeur que notre pays a acquise ces dernières années pourrait bien disparaître aussi vite.

Cependant, à force de déambuler dans les couloirs du château, ils finissaient aussi par croiser des membres de la cour qui ne partageaient pas leurs opinions. Et ces derniers n'étaient pas sourds.

— Puis-je vous faire remarquer, messieurs, que notre prospérité actuelle est précisément due au fait que notre roi a bousculé l'ordre et les traditions dans lesquelles nous étions embourbés ? Et cela dès son accès au trône...

— Général Oléyan Ez'Ranka... Vos exploits guerriers vous honorent, mais je ne pense pas que vous ayez intérêt à vous intéresser de trop près aux affaires politiques. D'autres que vous y ont laissé des plumes.

— Je vous remercie de vous inquiéter autant pour moi, répondit-il en prenant tout juste la peine de masquer son ironie. Mais rassurez vous, je ne suis pas aussi naïf que vous pourriez le penser.

— Nous verrons bien qui de nous a raison... Je fais confiance en notre bon roi Huy pour rétablir les choses à leur place après le chaos de la guerre.

Le petit groupe continua son chemin, Oléyan aussi, et très vite ils furent donc hors de portée d'oreille.

— Ce Oléyan Ez'Ranka ne vaut guère mieux... Dire qu'il est originaire de la petite noblesse. Sans la guerre de soixante ans pour le propulser au sommet, il ne serait qu'un fils cadet sans terre d'un seigneur de province inconnu de tous.

— Hélas, il faut bien lui reconnaître ses qualités de paladin. Sans lui, bien des batailles n'auraient peut-être pas été gagnées.

— Peu importe, il faudra s'en débarrasser, ou il finira par nous mettre des bâtons dans les roues.

— Il fait partie des proches du roi, ce ne sera pas aisé.

— Le roi Huy VI est âgé, son règne ne durera pas éternellement. Le Prince Yojinez nous écoutera surement d'une toute autre oreille. Il faut se préparer à ce changement

— Il est vrai que vous lui plaisez beaucoup. L'aura de son père le rend presque invisible et cela lui pèse, et il n'apprécie guère Ez'Ranka non plus.

— Exactement. La patience est la meilleure des attitudes pour nous, maintenant que l'obstacle le plus gênant à nos plans a disparu.

Mais le duc Haute-Lindanie et sa clique, ainsi que l'ensemble de la cour appartenant de près ou de loin aux factions conservatrices furent bien vite déçues, et durent admettre avoir crié victoire trop vite. Dame Asmalina, plus resplendissante que jamais, refit en effet surface pour le bal donné en l'honneur de l'anniversaire de la Princesse Saphria, sœur cadette de Yojinez. Même le roi et les alliés d'Asmalina furent stupéfait de la voir arriver dans une robe somptueuse, plus jeune et plus belle que jamais.

— C'est incroyable, dit Oléyan à ses amis. On dirait qu'elle est dix ans plus jeune qu'il y a un mois. Aurait-elle perdue la raison ? Les accusations de sorcellerie vont se multiplier. Et elle donc pas peur de voler la vedette à la princesse ?

Mais il constata vite que la princesse Saphria, loin de s'en offusquer, était ravie de la présence de Dame Asmalina. Elle semblait même être devenues les meilleures amies au monde.

— Oh, par tous les dieux, je crois comprendre.

— Que voulez-vous dire ?

— Je ne sais pas si je dois être heureux ou terrifiée. Mais je pense qu'elle a décidé de prendre une part plus active aux intrigues de ces dames. Si elle est aussi douée pour cet art occulte que pour l'alchimie et pour la politique, elle va bientôt avoir tout un clan autour d'elle.

— Et si la princesse est une des premières à la suivre...

— Oui. Elle va sans doute balayer d'un trait toutes les vielles peaux de la génération précédente qui l'accusent de sorcellerie. Ma foi, je suis admiratif.

Asmalina, avait déjà largement influencé les femmes du royaume, mais le plus souvent de façon indirecte. Par exemple, au travers les avancées qu'elle avait aidé à introduire. Elle n'avait que très peu participé de façon active aux intrigues de cour. Il faut dire que c'était un emploi à plein temps et qu'elle en cumulait déjà deux ou trois en tant qu'alchimiste et conseillère du roi. C'était à se demander si elle n'avait pas trouvé le moyen de se dédoubler.

— Dame Asmalina, regardez donc la grimace de la Comtesse Ten'Jarnas. On dirait qu'elle a trouvé un cafard dans son assiette.

— N'est-ce pas son expression habituelle, Votre Altesse.

— Vous êtes dure... En temps normal, elle donne juste l'impression d'avoir avalé de travers le contenu de son assiette.

Et la princesse ria discrètement, mais franchement. Puis elle passa à des sujets plus sérieux, comme pour se faire pardonner ce petit écart.

— J'ai été effaré par ce qui est arrivé à votre laboratoire. J'espère que mon père vous aidera à  en reconstruire un. Je crois savoir que beaucoup de vos manuscrits étaient des pièces uniques.

— Je vous remercie beaucoup de votre sollicitude. Heureusement, j'ai contacté mes anciens assistants, et ils vont pouvoir m'aider à les reconstituer. Les dommages sont moins grands que ce que je craignais.

— Me voilà rassurée. Dame Talmielle que voici est très intéressée par vos recherches, et j'ai cru comprendre que vous vouliez recruter des jeunes femmes pour avoir de nouveaux assistants.

— Oui. J'ai grand besoin d'aide, et il est temps que je transmette mon savoir aux femmes de ce pays. J'ai toujours regretté de ne pas arriver à avoir des assistantes.

— Vous ne trouviez pas de femmes intéressées ?

— Si, mais c'est leurs familles que je ne pouvais convaincre. Si j'avais votre soutien, ce serait sans doute bien plus facile pour moi.

— Je ne désire que cela. Dame Talmielle est bien trop intelligente pour un mariage arrangé à son age et n'être qu'une épouse.

Les deux femmes passèrent ainsi un long moment à esquisser des projets communs. Les nobles conservateurs, de leur côté, regardait tout ceci avec un œil meurtrier. La plupart comprenaient aussi bien que Oléyan les conséquences de la nouvelle approche de Dame Asmalina. Le duc Haute-Lindanie, blème, murmura à ses deux plus proches conseillers :

— Avant une semaine, cet obstacle ne sera plus.

Le Roi Huy restera pour toujours dans l'histoire pour avoir été à la fois un monarque absolu et un souverain écoutant son peuple et ses conseillers. Nombre de rois avaient faillis à concilier ces deux attitudes contradictoires mais nécessaires. Lui, réussit.

Histoire des pays d'Orient

La nouvelle stratégie d'Asmalina s'avéra en effet aussi payante que l'avait imaginé ses amis comme ses ennemis. Bien sûr, ils ne savaient pas quels petits secrets elle avait offert très discrètement à certaines dames de la Cour pour les convertir ainsi à ses idées. Elle ne savait pas trop ce que ses supérieurs allaient dire, car si elle continuait ainsi, cela allait avoir de fortes conséquences sur la place de la femme, non seulement au sein de la noblesse, mais aussi de la bourgeoisie et du peuple. Ces changements étaient bien sûr prévues par la section RC, mais pas pour tout de suite. En s'autorisant ainsi à accélérer le calendrier, elle jouait vraiment gros. Si elle faisait la moindre erreur; elle serait sanctionnée, voire mise sur la touche... Mais le jeu en valait la chandelle.

Elle ne fut pas trop surprise d'être la cible de plusieurs tentatives d'assassinats dès le lendemain du bal. Tous échouait lamentablement et de façon inexplicable, ce qui ne devait que rogner peu à peu la patience de ses ennemis. Elle pouvait se déplacer dans n'importe quel quartier de la ville, manger et boire n'importe quoi, discuter avec n'importe qui... Elle semblait ne prendre aucune précaution et ne pas s'apercevoir de ce qui était en train de se passer. La réalité était bien sûr toute autre.

Ce qui devait arriver arriva. Le duc Haute-Lindanie commença à perdre patience, et aussi à bout d'hommes de confiance. À force d'échecs, ils étaient tous tombés en disgrâce et il ne lui en restait plus. Seul dans ses appartements privés au sein de sa demeure, il ruminait la moitié du temps, et pulvérisait le meublier l'autre moitié. Même son frère Urtasinien, qui l'avait embarqué dans cette histoire commençait à reculer. Le lâche ! Tous des lâches ! Il commença à avoir en tête une idée qu'il n'aurait jamais eu en temps normal : se charger du travail lui-même. Bien sûr, jamais un aristocrate de haut rang ne s'abaissait en temps normal à commettre un acte aussi bas de ces mains. Utiliser des intermédiaires ou la guerre était le moyen habituel et parfaitement accepté pour pouvoir se laver les mains de ses propres manigances. Tout le monde l'utilisait, quelque soit son camp politique. Mais Dame Asmalina n'était pas un adversaire ordinaire et le duc n'était plus dans son état normal. Il prit une de ses propres arbalètes, de celles qui avaient fait tant de ravage au sein de l'ennemi sur le champ de bataille, et se dirigea vers le château du roi.

Cette vielle forteresse, comme il déjà été dit, était un vrai labyrinthe, ce qui facilitait grandement la tâche d'un assassin : de nombreuses voies d'accès et de fuite, de nombreux point où se poster, plusieurs recoins oubliés de tous... Et surtout, de nombreux point de passages obligés pour une cible. Il se posta dans un recoin qu'il avait repéré bien des années auparavant, aussi bien pour se protéger d'un assassin potentiel que pour éliminer un ennemi. Jamais il n'aurait cru s'y retrouver en personne, cependant.

L'attente fut longue, surtout pour quelqu'un comme lui qui était habitué à des méthodes plus rapides et franches pour trucider son prochain. Mais elle apparut enfin, se dirigeant tranquillement vers les ruines de son laboratoire, ignorante de la menace qui pesait sur elle. Il visa soigneusement, puis tira, lui-même étonné du calme qui l'envahissait désormais. Le carreau parti, droit sur sa cible, en une trajectoire magnifique et inexorable.

Le cœur du duc lui sembla cesser de battre quand il vit le résultat de son tir. Dame Asmalina était indemne, malgré la perfection de son tir. En fait, elle tenait le carreau dans ses mains et le regardait avec une curiosité flegmatique. Elle l'avait arrêté à mains nues. Elle soupesait le carreau et le manipulait tel un jouet d'enfant, inoffensif et attendrissant. Cette putain de sorcière avait arrêté le carreau en plein vol, sans même tourner les yeux vers lui, sans hésiter le moindre instant. Le duc recula d'un pas, ses jambes se mettant à trembler. C'est impossible, c'est vraiment une sorcière. Je pensais que c'était simplement un obstacle dans mes ambitions mais c'est une sorcière plus dangereuse que ne pouvait le dire toutes les rumeurs que l'on avait fait circulé. Elle tourna la tête vers lui, et le regarda alors droit dans les yeux, avec une expression de prédateur qu'il n'avait vu que chez les soldats les plus aguerris et impitoyables. Elle sait ! Elle me voit ! Elle sait tout ! Je suis un homme mort ! Le duc abandonna son arbalète sur place et fuit sans se soucier le moins du monde de sa dignité. Il fait que je rejoigne mes fidèles et mes alliés ! Il faut que je les prévienne! Cette sorcière va vraiment détruire le royaume, elle a vraiment fait du roi une marionnette !

L'académie de billard à sept boules était un endroit fort prisé des conservateurs, entre autres parce que seul la fine fleur de la société avait le droit d'y rentrer. Aristocrates de haute lignée et leurs courtisans s'y retrouvait régulièrement, pour comparer leurs exploits guerriers depuis des temps immémoriaux. La fin de guerre de soixante ans allait cependant probablement signifier une certaine évolution dans les sujets évoqués. Nostalgie et envie de refaire le monde allait probablement très vite devenir de nouveaux thèmes incontournables, malgré leur nature peu constructive. Les conservateurs étant en effet peu engagés dans les grands travaux et les réformes mises en place par le roi Huy pour changer le pays.

Le duc Haute-Lindanie y venait toujours dans des habits impeccables et entouré d'au moins une dizaine de ses fidèles. Aussi le portier fut-il plus qu'interloqué en le voyant arriver seul, habillé d'un informe manteau marron, crotté jusqu'aux hanches, et avec le regard hagard. Bien entendu, ses réflexes professionnels lui permirent de garder un masque impassible, mais il n'en était pas moins profondément choqué.

Les amis du duc furent tout autant surpris, et plusieurs portèrent la main à l'épée, le prenant pour un intrus, ou, pour ceux qui l'avait reconnu, poursuivi.

— Diantre, cher ami, que vous arrive-t-il donc ? Seriez-vous rentré en collision avec une écurie soudainement doté du don de se déplacer ? dit l'un d'eux.

— C'est Dame Asmalina ! Elle est plus dangereuse que tout ce que nous pouvions redouter ! Nous devons l'éliminer !

— Avez-vous perdu la tête ?

Personne dans la pièce n'appréciait Dame Asmalina, et bon nombre connaissait et approuvait les plans du duc à son sujet. Mais sortir de telles paroles en public, même restreint, était du suicide. Il n'était que fort probable que des espions du roi soient présent et ce dernier ne serait guère tolérant envers une conspiration visant ouvertement sa précieuse conseillère.

— Au diable les convenances et les secrets. Je me fiche que le roi apprenne toute la vérité, tant que cette sorcière est brûlée vive.

— Vous délirez...

— Elle a arrêté un carreau d'arbalète à mains nues !

— Comment cela ?

— Je lui ai tiré dessus avec mon arbalète pour m'en débarrasser une fois pour toute, mais elle a saisi le carreau au vol comme s'il s'agissait d'une simple balle lancée par un enfant ! Elle ne peut qu'utiliser de la magie interdite ! De la sorcellerie !

— Faites-le taire ! fit le comte Ten'Jarnas, un aristocrate aussi haut placé que le duc. Qu'il soit en train de délirer ou non, on ne peut le laisser parler.

Et deux de ses gardes, lui obéissant, passèrent derrière le duc et l'assommèrent.

— Voilà qui est mieux... Mais que faire maintenant ? Ile ne fait pas de doute que ses paroles vont finirent par arriver aux oreilles du roi... Ce serait un miracle qu'il ne décide pas de nous briser après ça...

Mais personne n'eut le temps de réfléchir plus. Un soldat de la garde royale venait d'arriver. Il venait délivrer des invitations à six des membres les plus importants de ce qu'on considérait comme des conservateurs. En particulier le duc Haute-Lindanie.

— Nous sommes fichus, dit alors le marquis de Flagon. Le roi sait déjà !

— Taisez-vous donc... Que ceux qui sont convoqués me suivent donc dans un salon privé...

Les six conservateurs se retirèrent donc à l'abri des oreilles indiscrètes, y compris le duc que son frère Urtasinien ranima promptement à coup de sceaux d'eau.

— Une invitation du roi qui arrive à un tel moment, ce n'est ni un hasard, ni naturel. Et il est bien étrange qu'elle nous soit délivré dans cette académie. J'ai bien peur que notre ami le duc ait raison.

— Où alors le roi a tout simplement appris que nous conspirions contre Dame Asmalina, dit le Marquis.

— Non, il aurait agi différemment. Il se passe définitivement quelque chose d'étrange.

— Enfin vous m'écoutez... Il faut absolument ramener le roi à la raison.

— Ce ne sera pas aisé... S'il est manipulé par une sorcellerie inconnue, issue du pays de cette sorcière, il ne nous écoutera jamais.

— C'est pour ça que je voulais la tuer. C'est le seul moyen de sauver le pays et de sauvegarder notre mode de vie !

— C'est une solution que j'aimerai éviter, personnellement. Qui sait si le roi redeviendra lui-même après ? Il y a nombre de magies qui survivent à celui ou celle qui en est la source.

— Si le roi reste fou, nous avons toujours le Prince, fit Urtasinien, avec une expression inquiétante.

— Vous êtes fou ? Conspirer contre une étrangère est une chose, s'en prendre au roi, c'est trahir nos propres convictions.

— Non, dit le duc. Il a raison, dans le pire des cas nous n'auront pas d'autre choix que de déposer le roi. Ce ne serait pas la première fois qu'une telle chose arrive, nous avons déjà eu des rois séniles, fous ou envoutés. Mais prions pour que nous n'ayons pas à en arriver à de telles extrémités.

— Oui...

Les six conservateurs, ayant donc mis au point un plan improvisé mais acceptable, rejoignirent leurs servants et leurs fidèles, puis se mirent en toute pour le château. Une invitation du roi était en général une bonne nouvelle, et augurait d'une récompense ou d'une mission importante. Mais ce jour là, cette invitation avait des airs de convocation, voire d'arrestation. Les six aristocrates de haute lignée allait donc voir le roi Huy, persuadés qu'il allait y jouer leur situation, sinon leur vie.

En arrivant au château, ils furent promptement amenés dans l'antichambre du roi, et on leur annonça que le roi allait les recevoir dans quelques minutes, et collectivement. Ce qui ne faisait que renforcer leurs soupçons. Le prétexte était qu'il était les six membres les plus éminents du Parti Conservateur. Raison qui aurait été valable si jamais ce parti avait existé. Mais ce n'était guère qu'un groupe informel, un surnom que les autres membres de la cour leur avait donné. Jamais il ne s'était désigné comme ça, et jamais il n'avait formalisé les complexes alliances politiques et idéologiques qui les unissaient. Ils étaient tous bien trop orgueilleux pour ça.

— Messieurs les Conservateurs, bienvenue, fit le roi en les accueillant dans la petite salle qui lui faisait office de bureau et de salle du trône informelle.

— Votre Majesté, firent les six aristocrates en mettant genoux à terre, comme un seul homme.

— Je suis content de vous voir répondre aussi rapidement à mon humble invitation, commença le roi. J'entends tellement de rumeurs étranges et incroyables sur mes chers opposants politiques. Mais j'ai l'impression que je peux être rassuré. La loyauté du Parti Conservateur envers moi ne fait plus de doute.

C'était un piège, les conservateurs en étaient sûrs. Mais comment s'en sortir ? Il fallait cependant prendre la parole, ça ne faisait aucun doute au vu de l'expression souriante du roi.

— Notre loyauté est éternelle, Votre Majesté, dit alors le duc Haute-Lindanie. Notre premier souci est et restera de préserver le royaume, quelque soit le danger qui le menace.

— Oh... Et voyez-vous des dangers à l'horizon, qui viendraient perturber la paix récente que nous vivons ?

Les cinq autres aristocrates se crispèrent, mais il était déjà trop tard. Pourquoi l'avait-il donc laissé parlé ? Pourquoi personne d'autre n'avait-il pris la parole ? Le duc était obnubilé par ses idées et il était devenu incontrôlable et dangereux.

— J'ai bien peur que oui. Mon sens du devoir m'empêche de me taire plus longtemps. J'ai la conviction intime qu'un de vos plus proches conseillers présente un danger aussi bien pour vous que pour le royaume.

— Je savais que vous en viendriez là... Quel est donc ce conseiller ?

Le roi Huy VI n'aimait que trop laisser ses ennemis préparer leur propre corde pour se pendre. C'était évident, mais le duc ne le voyait pas, ou ne s'en souciait pas. Si l'affaire n'avait concerné que lui, ses amis l'aurait abandonné sans arrière-pensée. Mais le problème, à ce moment, c'est qu'ils allaient être entraînés avec lui.

— Si je puis me permettre, tenta le comte Ten'Jarnas.

Mais le roi l'ignora, et le duc continuait sur sa lancée, imperturbable.

— Il s'agit de l'étrangère qui se fait appeler Dame Asmalina, fit le duc, d'un ton ferme, un peu méprisant, et désespérément sans appel sur ses intentions.

Le roi surprit alors toutes les personnes présentes : il se mit à rire. Un rire explosif, franc, comme si les propos du duc était une bonne plaisanterie, lancé au milieu d'un banquet, et non d'une grave accusation.

— Voyons, voyons, cher ami, ne soyez donc pas aussi ridicule. Je sais que vous tous ici présent ne l'avez jamais apprécié et je peux comprendre cette antipathie. Mais elle a été un élément extrêmement précieux dans la victoire contre les Ordaniens et la prospérité actuelle. Pourquoi s'en prendrait-elle à moi ou à mon royaume après toutes ces années ?

— C'est une sorcière, fit alors le duc, avec une voix sinistre et chargée de haine, sans aucune retenue désormais. Je ne sais quels sont ses plans exacts, mais il ne fait pas de doute que la magie qu'elle utilise est en fait de la sorcellerie. C'est une hérétique ! Elle vous a ensorcelé !

— Messieurs ! fit le roi, passant sans transition de la bonhomie la plus joyeuse à une fermeté glaciale. Je fais bien plus confiance à Dame Asmalina qu'à vous tous réunis. Je sais parfaitement que vous conspirez sans cesse contre elle depuis de longues années. J'étais disposé à ne pas intervenir tant que cela ne dépassait pas le stade des enfantillages. Mais je suis outré que vous profitiez de cette paix si chèrement gagné pour semer la zizanie en ce château. Je ne puis tolérer qu'on détruise son précieux laboratoire ou qu'on attente à sa vie.

Le duc remarqua alors qu'une arbalète trainait négligemment derrière le roi. Comment avait-il fait pour ne pas la voir ? C'était la sienne !

— Cessez immédiatement, ou je vous banni tous les six, quelles qu'en soit les conséquences politiques. Et vous pourrez vous estimer heureux de garder la tête sur les épaules...

Cinq des six aristocrates présents étaient pâles comme un linge. Mais le dernier, le duc, était bien au contraire rouge écarlate de rage à peine contenue.

— Pour le royaume ! hurla-t-il en dégainant son épée et en fonçant sur le roi.

À peine le duc avait-il effectué un mouvement que des panneaux de bois s'ouvrirent brusquement, révélant une demi-douzaine de gardes royaux. Mais le roi Huy et ses gardes avaient sous-estimé la folie des conservateurs, car le duc les prit tous de vitesse et enfonça profondément sa lame dans le corps du roi. Il ne put cependant guère savourer sa victoire, car un des gardes le décapita sans hésiter tandis que deux autres emportaient le roi à l'abri. Les trois gardes restants se dirigèrent vers les cinq nobles restant, leurs épées en position d'attaque. Ces derniers comprirent que ce n'était pas le moment de parlementer et s'enfuirent sans hésiter dans l'antichambre, mettant de côté leur fierté. Il fallait se mêler à la foule et disparaître...

Cependant, ils eurent une surprise en arrivant dans celle-ci : elle était remplie à craquer de leurs partisans, qui bloquèrent la porte derrière eux, enfermant les gardes dans le bureau du roi Huy. La confusion semblait complète, et des altercations avaient déjà commencé avec les quelques progressistes qui se trouvait encore là. Elles n'étaient que verbales pour le moment, mais tout cela allait sans doute très vite dégénérer. En tout cas, ils étaient littéralement cernés de leurs partisans, impossible de disparaître discrètement.

— Quelle catastrophe, fit Urtasinien. Mon cinglé de frère nous a mis dans un pétrin dans fond. Jamais le roi de nous pardonnera un tel outrage. Nous allons être décapités pour haute trahison et nos familles jetées en disgrâce.

— S'il survit...

— Je ne pense pas que sa blessure soit mortelle, hélas pour nous. Surtout si c'est la sorcière qui le soigne. Je l'ai vu faire des miracles pendant la guerre, sur les champs de bataille.

— Des miracles ? Ou des hérésies ?

— Peu importe, nous n'avons plus le choix. Il faut appliquer notre plan B. Allons chercher le prince Yojinez!

Mais ce dernier n'était pas bien loin. La panique qui se répandait dans le château l'avait fait arrivé.

— Que diable se passe-t-il ici ? Une passe d'arme sanglante entre le duc et mon père ? Mes amis, expliquez-moi.

Il semblait surpris et perturbé, comme s'il ne comprenait pas ce qui se passait.

— Nos pires craintes se sont révélés justes, improvisa le comte. Votre père a été envouté par la sorcière et a complètement perdu l'esprit. Il a tué le duc Haute-Lindanie dans un accès de démence, l'accusant de vouloir détruire le royaume. Ce dernier, l'a, j'ai bien peur blessé, dans un pur réflexe de défense de soldat.

C'était des mensonges éhontés, mais aucune des personnes présentes n'aurait osé les contredire.

— Diantre ! C'est une accusation très grave que vous portez là. Mon père ne serait donc plus lui-même ?

— Nous sommes hélas tous les cinq témoins. Le pauvre duc a essayé de se défendre, mais rien n'y a fait. Le royaume a besoin de vous, Prince, ou sinon tout va sombrer dans le chaos.

Impossible de savoir si le prince Yojinez croyait ou non à cette version des évènements. Mais une chose était sûre : il convoitait le trône impatiemment, et son père ne cessait de limiter ses responsabilités et de le critiquer. Il avait tout intérêt à les croire, ou à faire comme si.

— Vous m'inquiétez... Si mon pauvre père n'est plus celui que nous avons tous connu, je n'aurait en effet pas le choix. Mon devoir envers le royaume passe avant mes devoirs filiaux.

Cependant, un nombre non négligeable de partisans du roi Huy VI étaient encore présents ou à proximité, et personne n'avait envie que la crise ne dégénère en guerre civile. Pas tout de suite du moins... Heureusement, personne n'osait attaquer en premier. Les conservateurs se déplacèrent donc vers une cour du château et commencèrent à s'y installer pour décider de la marche à suivre.

Le roi de son côté avait été mis à l'abri, et on était allé chercher quelqu'un pour guérir ses blessures. Les conservateurs avaient raison à ce sujet, puisqu'ils s'agissait de Dame Asmalina. Cependant, elle n'avait bien entendu pas utilisé la moindre magie hérétique pour le sauver. L'idée même de magie hérétique la faisait d'ailleurs rire au plus haut point, dès que personne ne la regardait.

— Vous voilà remis sur pied, Votre Majesté.

— Je serai votre éternel débiteur, Dame Asmalina. J'ai peur d'avoir perdu le compte du nombre de fois ou vous m'avez ainsi sauvé la vie.

— Je ne fais que mon devoir.

— Non, vous faites bien plus que ça. Vous avez vous aussi échappé à une tentative d'assassinat aujourd'hui. Ne le niez pas, j'ai des yeux partout, même là où vous ne les soupçonnez pas...

Asmalina soupira et le roi se releva. Il se dirigea vers un serviteur qui lui avait apporté son épée. Il la prit, la soupesa d'un air satisfait, et annonça à ceux qui l'entourait :

— Messieurs, l'heure est venue de faire cesser cette ridicule conspiration. Suivez-moi !

La petite troupe quitta la tour où ils s'étaient réfugiés pour se réorganiser, et se dirigea vers la cour où étaient réunis les révoltés. Cependant, ces derniers s'étaient aussi mis en marche, et les deux groupes se retrouvèrent face à face dans un des plus vastes corridors du château. On n'aurait pu imaginer lieu plus spectaculaire pour cette confrontation : une douzaine d'hommes pouvaient marcher de front sans se gêner, et les deux groupes jaugèrent leurs forces à distance. Ici, impossible également à quiconque de cacher son appartenance à une des deux factions, pour choisir son camp après la bataille.

— Cessez immédiatement cette rébellion, fit le roi. Nous ne sommes pas des barbares, pour organiser ainsi des révolutions de palais.

— Ce n'est pas une rébellion, fit le comte Ten'Jarnas. Tout ce que nous voulons, c'est protéger le royaume.

— En tentant d'assassiner son roi ? Je vous croyais un homme d'honneur. Mais je me trompais, de toute évidence. Vous n'êtes qu'un hypocrite avide de pouvoir comme les autres.

— Détrompez-vous. Je serais toujours fidèle au roi légitime de ce pays.

Et il désigna Yojinez qui venait d'apparaître à ses côtés, une expression étrange sur son visage.

— Est-ce une plaisanterie de mauvais goût ? demanda Oléyan.

— La sorcière qui se cache derrière vous a tué le roi et l'a remplacé par une marionnette. Nous n'avons d'autre choix que d'accepter le prince Yojinez comme roi légitime, en vertu des lois millénaires de succession de notre royaume.

La déclaration du comte, aussi extravagante qu'elle soit, avait eu un effet certains sur les deux camps. Les partisans des conservateurs étaient rassurés dans la légitimité, au moins apparente, de leur action. Les fidèles du roi Huy, qui avaient trop souvent du mal à comprendre la confiance du roi en Dame Asmalina, ne pouvaient s'empêcher d'avoir un horrible doute à l'esprit. Tout allait se décider très vite.

— On m'a dit que vous étiez gravement blessé, Père. Je suis rassuré, mais fort surpris de vous voir en forme rayonnante. Et vous auriez tué mon cher ami le duc Haute-Lindanie ? Je ne comprends plus vos actes.

— C'est hélas vrai, mon fils. Ma garde personnelle a tué le duc, ce dernier ayant odieusement attenté à ma vie... Mais je ne pensais pas te voir au côté de ses complices.

— Prenez garde, Votre Altesse, fit le comte. Ne vous laissez pas manipuler comme lui.

La tension était monté d'un cran, et la plupart des hommes avaient la main sur le pommeau de leur épée, consciemment ou non. Les doutes et les interrogations étaient bien trop présents au sein des deux camps au goût de leurs leaders. Le roi comme le comte guettaient donc la réaction du prince Yojinez.

Ce dernier s'avança dans l'espace vide entre les deux camps, soudain souriant et déterminé. Il dégaina son épée, et la brandit devant lui, tout en commençant à parler, avec une voix plus décidée qu'à l'accoutumée.

— Cela ne fait que trop longtemps que je suis rabaissé au rang de jeune imbécile par tant de gens. Je commence à franchement me lasser de ce rôle. Il n'est que grand temps que je prenne la place qui m'est due au sein de ce royaume.

Et il s'élança, sous les yeux horrifiés de son père.

À la surprise général, il se retourna soudainement comme un danseur, pour planter son épée dans le cœur du comte Ten'Jarnas, avec une précision remarquable. Les conservateurs et leurs partisans reculèrent tous précipitamment, blancs comme des linges. Le comte regardait le prince sans comprendre, aussi ce dernier, charitable, daigna lui expliquer la raison de son acte :

— Comme tout héritier, il est vrai que je suis impatient de monter sur le trône. Je suis également en très souvent en désaccord avec mon père. Mais il n'a jamais tenté de faire de moi une marionette.

Le comte s'effondra alors, raide mort. Yojinez, haussant la voix pour être entendu de tous, déclara :

— Je ne suis pas mon père, mais je suis son héritier. Quiconque voudra attenter à sa vie ou à son trône devra passer sur mon corps. Et je déconseille aussi d'inventer des comtes de fées aussi ridicules que cette histoire de sorcellerie et d'hérétiques.

À ces paroles, la plupart des conservateurs comprirent qu'ils avaient choisis le mauvais camp et décidèrent de d'éclipser le plus discrètement possible. Seuls quelques uns eurent le courage (ou la lâcheté ?) de rester et de s'incliner devant le roi, implorant son pardon à travers leur soumission.

— Gardes, saisissez-vous de ces personnes. Traitez-les bien, mais seulement s'ils coopèrent entièrement.

— À vos ordres.

— Et ceux qui se sont enfuis ? demanda Oléyan. Dois-je ordonner à mes hommes de les poursuivre ?

— Oui. Cependant, concentrez-vous sur les meneurs. Les autres ne sont des courtisans de bas-étages, des imbéciles sans danger. Inutile de perdre du temps avec ceux-là.

Le roi Huy retourna alors dans son bureau, faisant signe à son fils et à Dame Asmalina de les suivre. Le prince ne sembla pas surpris que cette dernière soit présente, ce qui aurait dû leur mettre la puce à l'oreille.

— Je dois dire que je suis soulagé que tu ais fait le bon choix. J'ai eu peur à un moment d'avoir fait une erreur en te laissant la liberté de frayer autant avec mes ennemis politiques.

— Père, vous me sous-estimez. Cela fait longtemps que j'ai compris que je ne les intéressais que si j'étais un pantin. Ils m'ont toujours écouté, mais n'ont jamais pris au sérieux la moindre de mes idées.

— Je suis fier de toi. Mais je suis en partie coupable de ce regrettable incident. J'aurais dû te dire depuis longtemps la vérité sur Dame Asmalina. Bien des choses ont dû te paraître incompréhensibles, et cela aurait pu te faire faire de mauvais choix.

— J'en sais bien plus que vous vous imaginez, sur vos manigances à tous les deux.

— Comment cela ?

— Dame Asmalina n'est pas une simple conseillère d'origine étrangère. Elle vient d'un autre monde, et sa mission ici est de nous aider discrètement à nous préparer au futur.

Le roi s'affaissa de quelques centimètres sur son fauteuil, sidéré par les révélations de son fils. Ce dernier, assis nonchalamment sur sa chaise, semblait savourer l'effet de sa révélation. L'origine d'Asmalina était le secret le mieux gardé du royaume. Seul lui était au courant, et il ne connaissait même pas l'identité des autres agents infiltrés, dont Asmalina ne lui avait révélé l'existence qu'à demi-mot. Il jeta un coup d'œil à Asmalina, et vit qu'elle était aussi surprise, même si son incorrigible curiosité reprit très vite le dessus. Ce n'était donc pas elle qui en avait parlé au prince.

— M'aurais tu donc espionné, mon fils ?

— Je n'ai fait que suivre vos leçons : savoir laisser ses oreilles écouter au bon endroit et au bon moment.

Asmalina ne pu s'empêcher de rire à cette affirmation tranquille qui en disait temps en si peu de mots, et le roi sourit discrètement.

— Je vois...

— Qu'allez-vous faire des conservateurs, père ?

— Je ne sais encore exactement... Je ne peux guère exécuter ou exiler tout le monde, cela ferait bien trop de remous. Je pense que je vais devoir décider au cas par cas. Les quatre meneurs restants seront très durement châtiés. Les autres se verront des terres confisquées et subiront le déshonneur public. En tout cas, aucun ne sera exilé, je préfère garder mes ennemis près de moi pour les surveiller.

— Tout cela prendra du temps. Mais en effet, il faudra les tenir à l'œil. Je ne suis pas sûr que mon petit discours ait convaincu les plus acharné d'entre eux.

— Oui, et c'est précisément pour cela que je les appelle le parti Conservateur. Qu'ils le veuillent ou non, je vais les rassembler dans une seule entité, que je puisse surveiller, et avec un chef que je puisse gérer, choisi avec soin parmi les survivants.

Asmalina ne put s'empêcher d'intervenir :

— Contrôler l'opposition d'une main de fer ? C'est ainsi que vous mettez en pratique mes conseils ?

Elle avait pris un ton volontairement ironique pour bien montrer au roi que son but était plus  d'avoir des détails que de le contredire.

— Rassurez-vous, ce n'est pas mon désir. Je désire juste une vraie opposition, au grand jour. Si je les oblige à dire haut et fort leurs ambitions et leurs idées, ils se modéreront d'eux-même au lieu de conspirer dans mon dos.

Le roi souriait tout en disant cela.

Quand Asmalina rentra à bord de son yacht spatial, quelques heures plus tard, elle ne savait trop que penser. Son plan avait marché, et même trop bien marché. Il était carrément parti hors de contrôle, et tout s'était résolu un peu par miracle. En conséquence, elle n'était plus très sûr que ce soit grâce à ses actions. Elle se demandait ce que ses supérieurs allaient en penser, et ce qu'ils allaient faire d'elle. Une médaille ou la porte ?

— Souris donc un peu, lui dit Peyre après l'avoir écouté. Les conservateurs sont HS bien plus facilement que prévu, et tu as rallié à ta cause bon nombre de gens et de groupes importants qui renâclaient jusque là. Tu es l'héroïne du jour.

— Moi ? Tu plaisantes... Le roi comme son fils ont fait preuve d'un instinct politique redoutable et m'ont mystifié. Je sais que j'aurais du m'en douter, les connaissant, eux et leur famille. Mais je me suis quand même fait surprendre en beauté.

— Les systèmes politiques des Colonies Perdues peuvent être redoutables...

— Je crois que j'en ai encore une fois la preuve. Malgré mes années d'expérience, j'ai encore du mal à comprendre la psychologie de ceux nés sur les Colonies Perdues.

— C'est pour ce genre de surprises qu'on fait notre métier, non ? L'important, c'est qu'avec la nouvelle donne politique au sein de la Laprionie, le projet de navigation vers l'est va enfin devenir viable.  La grande majorité de ses opposants ont été discrédités de façon magistrale.

— Oui... Et la technomagie sera largement utilisée pour le réaliser. Je ferai d'une pierre deux coups.

— Une bonne partie des membres du Conseil va vouloir t'étrangler, je ne le nie pas. Mais au sommet, il y a un certain nombre de gens très pragmatiques qui t'approuveront. Au pire tu ne seras récompensé qu'en coulisse dans un premier temps. Ce n'est pas comme si on n'avait pas l'habitude de ça...

— J'espère que tu as raison. Mais assez parlé de moi. Où en est la situation de ton côté ?

— Justement, j'allais t'en parler, mais tu avais tant de choses à raconter... Une étape importante va probablement très bientôt être franchie.

— Laquelle ?

Les yeux de Peyre brillaient d'excitation, et Asmalina comprit qu'il avait probablement eu du mal à se retenir de lui en parler plus tôt.

— Ils vont lancer une fusée habitée. Leur conquête de l'espace commence.

— Quoi ? Déjà ? Je croyais qu'ils venaient à peine de lancer un satellite artificiel.

— C'était il y a trois mois. Ils semblent vouloir bruler les étapes et battre des records.

— C'est un euphémisme...

— Ça t'intéresse de voir le lancement de très près ? Du style quelques centaines de mètres de leur capsule, avec notre yacht en mode furtif ?

— Tu oses me poser cette question. Bien entendu que ça m'intéresse.

— OK. On est parti alors ?

— Maintenant ?

— Pourquoi attendre ?

Fin

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